vendredi 31 octobre 2014

Loi de finances 2015 : des médicaments plus chers que l'or (Vérité)

Loi de finances 2015 : des médicaments plus chers que l'or


Révélée par DELEPINE Andree |
Photo de la Vérité
Comment jouer avec 2,8 milliards d’euros de médicaments « innovants » et 35 millions d’économies en 2016 ? Le miracle de la liste en sus.
Le projet de loi de finances, présenté le 29 septembre 2014, promet des économies sur le médicament. Le mystère de la liste « en sus » et des milliards d’euros d’économies immédiatement possibles sans nuire aux patients reste entier pour le citoyen désinformé. Dans les bonnes intentions affichées de la ministre, on peut lire : « une gestion dynamique et pertinente de la liste en sus, c'est-à-dire les produits de santé qui, du fait de leur coût, donnent lieu à un remboursement intégral aux établissements de santé par l’assurance maladie. Ces dépenses se situent à un niveau très élevé (4,4 milliards en 2013, dont 2,8 milliards pour les médicaments) et sont très dynamiques » (1).

Ces molécules terriblement coûteuses sont payées aux établissements en plus (« en sus ») de leur dotation globale établie par la tarification à l’activité (T2A) (2). Ainsi, l’hôpital n’a pas à payer les médicaments onéreux, plus chers que l’or. Les bureaucrates sont contents (gratuit pour l’hôpital mais pas pour vos cotisations), les médecins qui participent à la « recherche » ravis puisque ces drogues sont expérimentales, les patients convaincus d’être chanceux de bénéficier de la médecine moderne.

Des médicaments plus chers que l’or

La liste dite en sus est établie au ministère et de façon très opaque, sur des critères impossibles à obtenir pour le commun des mortels. Elle a été « inventée par le Plan Cancer » en 2003 pour, officiellement, permettre à tous de bénéficier très tôt des nouveautés mais, en réalité, enrichir les labos et ruiner l’assurance maladie. Elle contient des drogues supposées « innovantes » remboursées rubis sur l’ongle par la Sécurité sociale aux établissements de santé dès leur inscription et bien avant la mise sur le marché, alors qu’elles sont encore expérimentales.

Leurs prix ne sont pas négociés et sont la valeur la plus haute que le laboratoire suppose que le pays concerné peut accepter ! La négociation ne se fera que lorsque l’autorisation de mise sur le marché sera obtenue et la drogue rayée de la liste en sus, ce qui traine des années sans légitimité. Une fois sortie de la liste, le prix sera souvent très inférieur à son prix initial (rapport de un à cent parfois). Les plus « chanceux » réussissent à ce que leur drogue reste longtemps sur la fameuse liste des médicaments onéreux généreusement offerts à l’hôpital (payés aussi par nos cotisations – vous paierez ainsi deux fois : dotation globale et liste en sus).

Alors comment régler cette contradiction et noyer le poisson ?

Une « incitation financière positive » pour les établissements vertueux : une réforme a minima

Fermer Garches parce que les médecins pratiquent la médecine conventionnelle, défendre aveuglément l’ « innovation », vraie ou fausse, et diminuer l’addition. On crée une usine à gaz de plus et on laisse les choses en l’état, au grand bénéfice des labos. La magie des notes administratives fera le reste. Lisez la suite : « Leur maîtrise reposera sur des actions, sur les prix, ainsi que sur le périmètre de la liste en sus, afin de contenir les dépenses hospitalières. En outre,(…) les établissements de santé seront incités financièrement au bon usage de la prescription des produits sur la liste en sus : est donc créé un outil tarifaire, dont l’effet sera globalement neutre pour les établissements de santé, mais qui avantagera les établissements ayant une prescription modérée de ces produits. »

« Afin de garantir que cette liste répond bien à son objet, c’est-à-dire permettre aux patients dont l’état le nécessite le recours à de réelles innovations, et afin de s’assurer du bon usage de ces produits, il convient aujourd’hui de mobiliser l’outil tarifaire pour inciter au respect des bonnes pratiques et à la pertinence des prescriptions, en créant une incitation financière positive à la prescription des alternatives thérapeutiques prises en charge dans les tarifs d’hospitalisation dès lors qu’elles ne sont pas moins efficaces. »

Il suffirait de radier les médicaments inefficaces – ils sont légion – dont l’apport est nul ou mineur de la liste spéciale et/ou de ne pas les inscrire. Apport nul ou mineur signifie qu’il existe sur le marché des médicaments autorisé, dix à cent fois moins chers, aussi efficaces et mieux connus (car plus anciens, donc potentiellement moins dangereux). Vous avez dit langue de bois ? Relisez entre les lignes : la ministre avoue qu’il existe des alternatives « pas moins efficaces » et extrêmement moins chères. Qu’est-ce qui peut justifier le maintien de ces médicaments cent fois plus chers que l’or, d’apport minime ou nul si ce n’est la pression des labos ? Avez-vous une meilleure idée ? Pour ruser et faire semblant, le ministère a créé une incitation financière « positive » à la prescription des traitements validés ! Pourquoi ne supprime-t-il pas simplement les médicaments de la liste en sus quand ils n’apportent rien (absence de progrès ou progrès mineur) ?

35 millions d’euros d’économies… sur les trois milliards que coûte la liste en sus

Un outil et des contrôles supplémentaires pour laisser faire en donnant l’impression d’agir. Leur propagande éhontée arrive à troubler les plus honnêtes des citoyens qui ne peuvent imaginer les dons de prestidigitation de nos énarques. On stigmatise les généralistes et spécialistes de ville qui prescriraient à tort et à travers. On supprime la liberté de prescrire à l’hôpital et on supprime petit à petit la médecine libérale.

L’impact financier anticipé dans l’article 44 du projet de loi est de 35 millions d’euros, 15 millions pour 2015 puisqu’il faut bien six mois pour mettre en marche ce nouveau dispositif qui brille par sa simplicité. Vous avez bien lu : on fait payer 2,8 milliards d’euros annuels pour des molécules dont beaucoup n’apportent aucune amélioration médicale et on prévoit d’économiser 15 millions d’euros en multipliant encore les paperasses (dont on n’évalue pas le coût financier). Est-ce bien sérieux, juste pour un effet d’annonce ?

La vraie solution : radier les médicaments non-innovants de la liste en sus

Donnons quelques exemples des raisons objectives de radier ces drogues et d’en tirer beaucoup d’économies, exemples empruntés à l’excellent blog de François Pesty (4). Le célèbre Avastin devait révolutionner le traitement du cancer, si on en croyait un patron parisien au journal de TF1 en 2005, revenant de la grand-messe annuelle américaine du traitement du cancer. Si, autrefois, on s’y informait des progrès et échangeait avec des collègues de toutes nationalités sur notre pratique, l’ASCO (American Association of Clinical Oncology) est devenue une foire aux médicaments dans laquelle chaque firme tente de convaincre de la supériorité de son nouveau médicament afin de le transformer en blockbuster. Difficile d’y voir clair, car les publicistes sont très bons et les médecins naïfs.

En 2013, l’Avastin, premier anticancéreux de la liste en sus, a coûté 393 millions d’euros à l’assurance maladie française, pour un chiffre d’affaires mondial de l’ordre de cinq milliards). La commission de la transparence a évalué le progrès thérapeutique apporté par cette molécule dans cinq indications ayant l’autorisation de mise sur le marché : absence d’amélioration dans les cancers du poumon et du sein, progrès mineur dans les cancers du côlon, du rein et de l’ovaire. Autrement dit, aucune justification à maintenir l’Avastin dans cette liste spéciale. D’autres médicaments aussi voire plus efficaces existent dans le commerce que les hôpitaux pourraient payer eux-mêmes dans le cadre de la T2A. La nouvelle usine à gaz n’a pas prévu de contrôler la « bonne prescription d’Avastin », mais juste de donner de l’argent aux hôpitaux qui auront payé les autres médicaments en lieu et place de l’Avastin. On saura que l’hôpital a prescrit l’Avastin pour le lui payer mais on ne saura pas s’ils l’ont éliminé pour le remplacer par d’autres médicaments qui ne figurent pas dans les résumés individuels utilisés pour la T2A.

Autre exemple en cancérologie : l’Alimta a coûté 153 millions d’euros en 2013. Dans une forme de cancer du poumon, on sait depuis 2008 que l’apport est nul (5) par rapport à une association de médicaments Gemzar et Taxotère, génériqués, beaucoup moins coûteux et radiés de la liste depuis plusieurs années. L’amélioration du service médical rendu est mineure dans la dernière indication obtenue en « maintenance » dans le cancer bronchique, c’est-à-dire en phase terminale. Le Paclitaxel (30 euros la séance), radié de la liste en 2006, devrait être préféré à l’Alimta (environ 2000 euros la séance, soit 70 fois plus). Pourquoi l’Alimta n’est-il pas simplement radié de la liste ? Qui en tire bénéfice ? Le patient ou le labo ?

Autre exemple : le Vectibix n’apporte, selon la commission de la transparence, aucun progrès dans le traitement du cancer colorectal. Il a couté 32 millions d’euros en 2012. En février 2014, la revue Prescrire recommandait de l’écarter de la liste.

L’énorme scandale médical et financier des molécules dites innovantes qui creusent le fameux trou de la Sécu touche d’autres spécialités que la cancérologie. Le Remicade, indiqué dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, a coûté 303 millions d’euros en 2013. Or l’association méthotrexate-sulfasalazine-hydroxychloroquine s’est avérée « non inférieure » à l’association Remicade-méthotrexate dans plusieurs essais randomisés, donc aussi efficace et beaucoup moins chère. Les médicaments conventionnels peuvent permettre une économie sans perte de chance pouvant aller jusqu’à 12 000 euros par patient (6). Par quel miracle le Remicade figure- t-il encore sur cette liste honteuse ? Notez qu’avec seulement quatre médicaments à radier, nous économiserions près de 900 millions d’euros.

L’intérêt des labos dénoncé dans plusieurs rapports

En 2012, dans un rapport sur les médicaments dits innovants, Gilles Duhamel et Aquillino Morelle avaient précisé dans leur recommandation 24 : « Trois conditions cumulatives devraient être requises pour attribuer à un médicament un prix particulièrement élevé : (1) l’affection traitée doit engager le pronostic vital ou présenter un haut degré de gravité ; (2) le bénéfice thérapeutique doit être majeur ou important. Le médicament doit à la fois constituer une amélioration très nette en termes de ratio efficacité/toxicité par rapport aux alternatives thérapeutiques existantes et apporter une réponse thérapeutique majeure ou importante par rapport aux besoins thérapeutiques pour lesquels les réponses restent inexistantes ou très insuffisantes ; (3) la fixation du prix devrait obligatoirement se fonder sur une analyse coût-utilité ».

Entre temps, Aquillino Morelle est devenu plume du président de la République et rien n’a changé. Son rapport a été oublié. Il dit avoir été viré pour d’autres raisons que celles parues dans la presse. Lui a-t-on pardonné d’avoir cosigné : « Lorsque la France est saluée pour sa politique d’accès aux traitements anticancéreux, n’y a-t- il pas, au-delà de la volonté des pouvoirs publics de répondre aux besoins de santé publique, des dispositions par trop dépendantes des entreprises du médicament et des stratégies qu’elles déploient compte tenu de l’enjeu économique que représentent les traitements anticancéreux et le tremplin que constitue l’hôpital pour le marché pharmaceutique ? » ou encore « Les entreprises pharmaceutiques, année après année une des industries les plus profitables au classement du journal Fortune, disposent d’un pouvoir monopolistique leur permettant de retenir un prix nettement supérieur à leurs coûts de production, et cherchent à maximaliser leur niveau de profit principalement en fonction de ce qu’elles peuvent attendre du marché et de la propension du payeur à payer » (7). Et une des conclusions de ce rapport de l’IGAS 2012 enterré : « La collectivité est actuellement confrontée à l’obligation de financer certains médicaments à des prix exorbitants dont la rationalité n’est pas justifiée ».

Tout le monde le sait : ne manque plus que le courage politique

Le professeur Jean-Claude Vernant a fait un rapport en aout 2013 en préparation du Plan Cancer 2014. Il a fait part de ses interrogations au quotidien La Croix (8) : « Ces dernières années, le prix de certaines molécules a atteint des proportions que de plus en plus de médecins, dont je fais partie, jugent presque immorales. En une décennie, le prix des nouveaux médicaments anticancéreux a pratiquement doublé, passant d’un coût moyen de 5 000 à 10 000 dollars par mois (3 700 à 7 400 euros). » Le 5 novembre 2013, le journaliste médical Jean-Yves Nau déclare sur Slate : « Le monde médical hospitalo-universitaire n'accuse jamais Big Pharma à visage découvert ». Bref, tout le monde le sait, même en haut lieu, et il ne se passe rien. La plume du président et le rapporteur du Plan Cancer le dénoncent officiellement et on continue.

Je laisserai la conclusion à François Pesty : « Une usine à gaz de plus, alors que pour faire des économies considérables sans perte de chance pour les patients, il suffirait simplement d’appliquer à la lettre la recommandation 2010-25 du Conseil de l’Hospitalisation, dont nous allons en octobre fêter le quatrième anniversaire. Ce qu’aucun ministre n’a osé faire jusqu’à présent. IL S’AGIT JUSTE DE RADIER DE LA LISTE EN SUS LES FAUSSES INNOVATIONS DONT ELLE REGORGE, pour in fine ne plus rembourser en dehors de la T2A que les seuls médicaments qui apportent un progrès majeur, important ou modeste (vraies innovations). La LFSS 2014 avait créé les conditions d’une gestion de la liste en sus « indication par indication », il ne manque plus qu’un peu de courage à la Ministre pour procéder au toilettage qui s’impose… »




Références :

(1) Projet de loi de finances 2015

(2) La T2A est basée sur le coût moyen d’un patient en fonction de sa pathologie et de ses maladies associées, de la cause de son séjour hospitalier et des actes réalisés (d’où leur inflation) et de la durée de séjour avec des « bornes basses et hautes » : par exemple, rester un minimum de 48 heures en oncologie pour recevoir 5 000 euros pour la chimiothérapie mais, au-delà de cinq jours, vous ne serez pas mieux payés. D’où la volonté des administratifs de très vite renvoyer les malades quand ils ont atteint la borne haute. Les bornes varient selon les spécialités et sont particulièrement mal adaptées aux maladies chroniques ou aux soins palliatifs et fin de vie. Au-delà de dix jours, l’établissement perd de l’argent. Alors ?

(3) Selon l’avis de la commission de transparence et tout de même inscrite sur la liste par le mystère des négociations au ministère.

(4) Blog de François Pesty : puppem.com. « Approfondissez et professionnalisez » l’action des DAM sur le médicament, en suivant les recommandations de l’IGAS (ciblage, clarté du message, reminder, fréquence des visites, suivi d'impact...) »

(5) Avis de la commission de la transparence en date du 26 novembre 2008

(6) Démonstration scientifique et toutes références sur le site de François Pesty, avec ses commentaires détaillés sur le projet de loi de finances.

(7) Page 63 du rapport « Evaluation du dispositif de financement des médicaments en sus des prestations d’hospitalisation dans les établissements de santé », Inspection Générale des Affaires Sociales, RM2012-044P

(8) la-croix.com/Actualite/France/Les-medicaments-du-cancer-atteignent-un-niveau-de-prix-immoral-2013-11-06-1056577