mercredi 19 novembre 2014

L’Affaire de Margerie Un embarras TOTAL (Richard Le Hir) (Ce que les medias ne nous disent pas)

Les intérêts du tandem Desmarais/Frère entre l’enclume et le marteau
Les causes du décès inopiné de Christophe de Margerie, le PDG de la pétrolière française TOTAL, survenu à l’aéroport Vnoukovo de Moscou il y a maintenant plus de trois semaines, n’ont pas encore été élucidées. En raison de ressemblances troublantes avec les circonstances du décès en 1962 d’une figure emblématique de l’industrie pétrolière, Enrico Mattei, l’hypothèse d’un attentat s’est rapidement imposée.
L’article que j’ai consacré à cette affaire, écrit à l’origine pour le site québécois Vigile.net, a été rapidement repris en Europe, notamment en France, au Moyen-Orient et au Canada.
Ayant débuté ma carrière au service des Affaires publiques d’Esso à Montréal au milieu des années 1970, je me suis familiarisé très tôt avec les enjeux de l’industrie pétrolière à l’échelle mondiale. C’est l’époque du premier choc pétrolier. Les principaux pays producteurs se sont organisés en cartel au début des années 1960 pour contrecarrer l’influence des grandes entreprises majoritairement états-uniennes sur les prix. Majoritairement arabes, ils vont profiter de la guerre du Kippour en 1973 pour décréter un embargo sur les exportations de pétrole à destination des pays qui soutiennent Israël. L’effet à la hausse sur les prix est immédiat, et les membres du cartel ne relâcheront plus jusqu’à aujourd’hui l’emprise qu’ils se sont donnés sur les marchés mondiaux en s’imposant des quotas volontaires de production.
En 1975, les bureaux d’ESSO à Montréal sont situés dans le grand complexe de la Place-Ville-Marie. Un cinéma d’essai jouxte le groupe d’ascenseurs dédié au service de l’immeuble où mon bureau et situé. Arrive à l’affiche le film que le grand réalisateur italien Francesco Rosi vient de consacrer à l’Affaire Mattei dont j’ai vaguement entendu parler. J’en profite pour le voir. J’en ressors très impressionné et complètement fasciné par le sujet. Je reverrai ce film plusieurs fois au cours des années avec un intérêt sans cesse renouvelé avec l’approfondissement de mes connaissances de l’industrie pétrolière et des enjeux géopolitiques que soulèvent ses activités.
J’ai donc tout de suite vu, à l’annonce du drame de Moscou, le lien qui pourrait être établi avec l’Affaire Mattei s’il fallait que ses circonstances soient suspectes, ce qui n’est toujours pas confirmé. Dans mon premier article, j’ai évoqué les déclarations de Christophe de Margerie sur l’opportunité de découpler le pétrole du dollar US en les rapprochant de paroles et de gestes au même effet prononcés et posés par Dominique Strauss-Kahn alors qu’il était directeur général du FMI, et par Mouammar Kadhafi, le leader libyen éliminé par les forces de l’OTAN en 2011.
Au cours des dernières semaines, d’autres esprits curieux en Europe et aux États-Unis se sont penchés sur cette piste et ont retracé toutes les déclarations de Christophe de Margerie au cours des deux dernières années dans lesquelles il s’est trouvé à s’opposer aux points de vue ou aux volontés des États-Unis, non seulement sur le rôle exagéré du dollar dans le commerce international du pétrole, mais aussi sur le rattachement de la Crimée à la Russie, sur la sortie de la Russie du G8, sur la livraison ou non des navires de guerre Mistral par la France à la Russie, sur la volonté de l’UE de réduire sa dépendance gazière vis-à-vis de la Russie, sur l’inopportunité pour les États de prendre en otage leurs entreprises privées pour régler leurs différends politiques, sur l’inopportunité de traiter la Russie en ennemi lorsque l’Europe en dépend pour ses approvisionnements gaziers, et enfin sur l’inopportunité et l’inefficacité des sanctions adoptées contre la Russie

Bref, il n’a raté aucune occasion de se taire ni de faire activement cabale contre les desseins des États-Unis auprès de tous ses interlocuteurs. Et comme il s’agissait du chef d’une des plus grandes entreprises mondiales dont le champ d’activité et la personnalité très forte le mettaient en rapport avec des chefs d’État et des décideurs du monde entier aux plus hauts niveaux dans les domaines de l’industrie et de la finance, et qu’il jouissait en outre d’entrées privilégiées au Kremlin, il constituait sans aucun doute une menace directe pour les intérêts des États-Unis.
Dans un ouvrage publié ces jours-ci aux États-Unis, The Colder War (Une guerre froide encore plus froide), dont la thèse centrale a été validée ces jours derniers par nuls autres qu’Henry Kissinger et Mikhaïl Gorbatchev, l’auteur, Marin Katusa, responsable principal de l’élaboration des stratégies de placement dans le secteur de l’énergie chez Casey Research, une firme réputée pour la qualité de ses analyses, évoque le sort de ceux qui ont osé défier la suprématie du dollar, et décrit dans des termes quasi-apocalyptiques celui qui attend les États-Unis advenant le découplage du pétrole avec le dollar US :
« Le pétro-dollar joue un rôle déterminant dans le système actuel. Et je serai même encore plus clair ! La seule chose qui tient encore les États-Unis au sommet de l’univers aujourd’hui est le pétro-dollar. Si le régime du pétro-dollar s’effondre, il en va de même du statut de super-puissance des États-Unis. »


De là à supprimer Christophe de Margerie, il y a tout de même une marge, me direz-vous. Or l’histoire des soixante dernières années regorge toutefois de cas où les États-Unis n’ont pas hésité à passer aux actes, à commencer justement par Enrico Mattei.
Il se trouve également qu’un journaliste d’enquête américain réputé, Wayne Madsen, ancien officier de la marine américaine et spécialiste des questions de sécurité nationale, invité à plusieurs reprises à témoigner en tant qu’expert par la Chambre des représentants aux États-Unis, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, et une commission judiciaire française sur le terrorisme, passait récemment en revue les cas où les États-Unis avaient délibérément orchestré des accidents aériens pour se débarrasser de personnalités politiques gênantes, et encore tout récemment d’Eduardo Campos, le colistier de Dilma Rousseff lors de la dernière campagne présidentielle au Brésil.
Sa liste des victimes des États-Unis est un véritable « Who’s who » de la politique internationale et nationale des États-Unis des soixante dernières années. On y retrouve en effet les noms de Dag Hammarskjold, secrétaire général des Nations Unies dans les années 1960, Juvénal Habyarimana, président du Rwanda, Cyprien Ntaryamira, président du Burundi, en 1994, Francisco sá Carneiro, premier ministre du Portugal, en 1980, Muhammad Zia Ul-Haq, président du Pakistan, en 1988, Sanjay Gandhi, candidat au poste de premier ministre de l’Inde, en 1980, et même des personnalités américaines comme Walter Reuther, président du très puissant (et très redouté par la droite) syndicat des Travailleurs unis de l’automobile, en 1970, l’ancien sénateur du Texas John Tower qui avait à plusieurs reprises osé défier l’extrême droite du parti Républicain, en 1991, et Paul Wellstone, senateur du Minnesota, coupable du même délit de lèse-extrême-droite, en 2002.
Selon Madsen, tous ces « accidents » d’avion portaient la signature d’au moins une des seize agences états-uniennes de renseignement, et visaient à éliminer des personnalités dont les agissements menaçaient les fondements de l’Empire Américain.
Un article paru il y a quelques jours sur le site WikiStrike prétend en outre que les Russes en seraient arrivés à conclusion que Christophe de Margerie aurait été assassiné par la CIA. En effet, leur agence de renseignement, le FSB, aurait

« […] découvert des contradictions inexplicables “entre les informations récupérées à partir des boites noires de l’avion et les informations de la tour de contrôle publiées qui ont montré que cet avion a été ” subrepticement dirigé “dans la trajectoire du chasse-neige qui roulait sur une autre piste, dont il a été rapporté que le conducteur était sobre, et l’avocat a déclaré que son client “souffre d’une maladie cardiaque aiguë ; il ne boit pas du tout et il y a des amis et les parents qui peuvent témoigner de cela.”
Concernant les “actions et les motivations des acteurs étatiques” [euphémisme du FSB pour désigner la Central Intelligence Agency ( CIA )] en cherchant à assassiner Christophe de Margerie, ce bulletin dit, que s’était dû à la réunion qu’il venait de conclure avec le Premier ministre Dmitri Medvedev, dans lequel Total et son partenaire, le plus grand producteur de pétrole et de gaz indépendant de Russie Novatek , commenceraient la vente de pétrole et de gaz naturel liquide (GNL) en euros ou en roubles, et non en Dollars US (aussi appelés pétrodollars).
Le FSB note que Total et Novatek ont ensemble un projet de 21 000 000 000 € (27 milliards de dollars) pour développer un projet de GNL Yamal dans l’Arctique russe, qui devrait commencer à produire en 2017. Les réserves du champ sont estimées à environ l’équivalent de 800 millions de barils de pétrole, à partir de laquelle les deux sociétés pourraient un jour produire autour de 15 millions de tonnes par an de GNL (gaz naturel liquide). […]
Il va de soi que ces hypothèses sont connues du gouvernement français et de la nouvelle équipe dirigeante de TOTAL qui jusqu’ici se comportent comme si de rien n’était.
Quelques jours après le décès de Christophe de Margerie, le président Hollande se rendait en visite officielle au Canada en la débutant en Alberta, une première dans l’histoire des relations franco-canadiennes, marquées depuis les années 1960 par l’élan donné par le général De Gaulle aux aspirations indépendantistes du Québec.
Il se trouve que TOTAL est un acteur important de l’industrie pétrolière en Alberta et que gravite autour d’elle toute une constellation d’entreprises françaises qui lui fournissent des biens et des services et qui, gràce à elle, sont parvenues à s’implanter en Amérique du Nord. TOTAL est également présente aux États-Unis, et y gère ses affaires à partir de sa plate-forme de Calgary que Christophe de Margerie a abondamment contribué à développer.
Eût-il été encore vivant au moment de cette visite que la participation de Christophe de Margerie s’y serait imposée, tout en jetant sur celle-ci l’ombre noire d’un affrontement direct avec les États-Unis. En effet, toutes les grandes pétrolières américaines sont aussi présentes en Alberta et considèrent celle-ci comme « a home away from home », une expression populaire américaine qui signifie un second chez soi.
Sans aller jusqu’à prétendre que le décès de de Margerie faisait l’affaire de la diplomatie française, il n’y a aucun doute qu’il se trouvait à lui simplifier singulièrement la tâche lors de cette visite officielle au Canada. D’autant plus que le défunt avait semé la consternation dans la région en mai dernier lorsqu’il avait annoncé l’annulation d’un important projet de développement de onze milliards de dollars dans les sables bitumineux.
Voici comment le Globe and Mail de Toronto avait rapporté les faits [ma traduction] :

L’expérience de TOTAL met en relief les périls de l’exploitation des sables bitumineux