lundi 13 juillet 2015

[Jour J] L’Europe aux périls de l’Euro, par Jacques Sapir (+ Projet EuroGroupe) (les crises)

[Jour J] L’Europe aux périls de l’Euro, par Jacques Sapir (+ Projet EuroGroupe)

 
Les 3 derniers billets de Sapir. Je vous recommande le premier.
A la fin, l’hallucinant compte rendu des propositions de l’Eurogroupe d’hier…

L’Europe aux périls de l’Euro

La crise grecque est devenue désormais une crise de l’Union européenne. Quelle que soit son issue, les fondements mêmes de l’UE ont été durablement ébranlés. La prolongation de la réunion de l’Eurogroupe, censée se terminer samedi 11 juillet et qui a été étendu au dimanche 12, l’annulation du sommet européen des chefs d’Etats et de Gouvernements, sont des signes évidents de l’ampleur et de la profondeur de cette crise. Elle n’aura probablement pas de vainqueur, à moins que l’on en passe par les conditions posées par l’Allemagne, mais les vaincus seront nombreux. Et, au premier plan, les fanatiques de la construction européenne, les talibans de l’Euro. Car, la cause réelle, la cause évidente, de cette crise ce n’est pas le problème de l’endettement de la Grèce, mais c’est le fonctionnement de la zone Euro, qui dresse les peuples les uns contre les autres et qui ranime les pires des souvenirs de l’histoire européenne. Si l’Union européenne et l’Europe sont deux choses différentes, aujourd’hui, ce qui se joue à Bruxelles n’est plus seulement la Grèce ou l’Euro, c’est l’avenir de l’Europe et l’existence même de l’Union européenne.

La responsabilité de l’Euro

Il est désormais évident pour l’ensemble des observateurs que la cause profonde de cette crise est à chercher dans le fonctionnement de la zone Euro. On l’a déjà écrit à de multiples reprises dans ce carnet. Le projet de création d’une monnaie unique, sans assurer dans le même temps les conditions tant économiques qu’institutionnelles de la viabilité de cette monnaie, ne pouvait qu’entraîner un désastre. Il fallait se résoudre à une « union de transfert ». On ne l’a jamais fait. Si, dans des pays fédéraux comme l’Inde, l’Allemagne ou les Etats-Unis une même monnaie fonctionne en dépit des divergences parfois extrêmes qui existent entre les territoires composant ces pays c’est avant tout parce qu’existent des flux de transfert importants. Ceci n’a pu être mis en place au sein de la zone Euro, en raison de l’opposition de nombreux pays mais, par dessus tout, en raison de l’opposition totale de l’Allemagne.
Beaucoup de ceux qui écrivent en faveur de l’Euro se lamentent alors sur ce qu’ils appellent « l’égoïsme allemand »[1]. Ils ne prennent jamais la peine de chercher à mesurer ce que coûterait à l’Allemagne le financement de ces flux de transfert. Le calcul a été présenté dans ce carnet[2]. Il se montait alors autour de 260 milliards d’euros par an, sur une période de dix ans, et ce uniquement pour aider les 4 pays du « Sud » de la zone que sont l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce. Sur cette somme, on peut penser qu’environ 85% à 90% serait fourni par l’Allemagne. On aboutit alors à un prélèvement sur la richesse produite en Allemagne compris entre 8% et 9% du PIB. Une autre source estimait même ce prélèvement à 12%[3]. Il est clair qu’imposer un tel prélèvement à l’Allemagne détruirait son économie. La question donc n’est pas que l’Allemagne ne veuille pas (ce qui est un autre problème) mais avant tout qu’elle ne peut pas supporter de tels prélèvements.
Confrontés à l’impossibilité de mettre en place une union de transfert, les gouvernement de la zone Euro ont cru trouver leur salut dans une combinaison de cures d’austérité dont les effets récessifs ont fragilisé les économies européennes, et de politique monétaire relativement expansionniste, telle qu’elle a été menée par la Banque Centrale Européenne. Mais, cette politique monétaire, si elle a permis de faire baisser les taux d’intérêts n’a pas résolu le problème. C’est comme de vouloir soigner une pneumonie avec de l’aspirine. L’aspirine fait un effet bénéfique en permettant à la fièvre de baisser, ce que fit la politique de la BCE à partir de septembre 2012, mais elle ne soigne pas.
Dès lors, l’Euro a entraîné les économies des pays membres de la zone dans une logique de divergence de plus en plus forte. Cette logique a conduit à des plans d’austérité de plus en plus violent, qui exaspèrent les populations et qui dressent celles des pays ayant moins de problèmes contre celles des pays souffrant le plus. Loin d’être un facteur d’unité et de solidarité, l’Euro entraîne le déchaînement des égoïsmes des uns et des autres et la montée des tensions politiques au sein de l’Union européenne. L’Euro, de par son existence même est bien la source de la crise dont les péripéties bruxelloises de cette fin-de-semaine sont l’illustration.

La responsabilité des politiques

Si la responsabilité première de cette crise incombe à l’Euro, et au système institutionnel que l’on a construit pour le faire perdurer, cela ne vaut pas non-lieu pour le personnel politique. Au contraire ; leur comportement a tendu à exacerber cette crise en provoquant une perte massive de confiance des peuples de l’Union européenne dans cette dite union.
Il est de bon ton de se déchaîner à présent contre Mme Merkel et M. Schäuble. Leur responsabilité est immédiatement engagée. Le plan présenté par M. Schäuble ce samedi 11 juillet, et qui prévoit soit l’expulsion de la Grèce soit la mise en gage d’une partie du patrimoine industriel de ce pays, est parfaitement scandaleux. Ces deux dirigeants se comportent comme des petites frappes cherchant à terroriser le quartier. Mais, il faut ici dire qu’ils ne sont sans doute pas les pires. De plus, il faut reconnaître à M. Schäuble une certaine cohérence dans sa position.
Parmi ceux dont les responsabilités sont certainement plus importantes il faut citer le président de l’Eurogroupe, M. Dijsselbloem. Ce triste personnage a ainsi exercé des menaces et un véritable chantage sur le ministre grec des finances, M. Yanis Varoufakis. Ce dernier l’a décrit de manière très explicite[4]. Il montre que ces détestables pratiques ne sont pas le produit de la crise (ce qui sans les justifier le moins du moins du monde pourrait les expliquer) mais ont commencé dès les premières réunions datant du mois de février 2015. Ces pratiques, ainsi que celles de M. Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, témoignent d’un esprit profondément anti-démocratique qui règne dans les instances de l’Union européenne. Les pratiques de ces dirigeants, et avant eux de personnes comme M. Barroso, ont largement contribué à la perte de crédibilité des peuples dans ces institutions. En novembre 2012, un sondage réalisé sur l’ensemble des pays européens montrait que le pourcentage de personnes disant ne pas faire confiance dans l’Union européenne était de 42% en Pologne, de 53% en Italie, de 56% en France, de 59% en Allemagne et de 72% en Espagne[5].
Mais, les bons apôtres de la construction européenne, comme M. François Hollande, ne peuvent – eux non plus – espérer sortir indemne de cette crise. Leur responsabilité est en réalité tout autant engagée que celle des autres politiciens. Si M. Hollande avait été fidèle à ses engagements de la campane présidentielle du printemps 2012, il aurait affronté immédiatement et directement la chancelière allemande. Au lieu de cela, il a accepté d’entrer dans la logique austéritaire qu’elle proposait et il a cédé, en tout ou partie, à ce qu’elle exigeait. Il est alors logique que Mme Merkel se soit sentie confortée dans ses choix et les ait poussés jusqu’au bout de leur absurde et funeste logique concernant la Grèce. M. Hollande cherche depuis quelques jours à faire entendre une musique différente. Mais, il n’est que trop visible que l’homme est déjà en campagne pour sa réélection. Sur le fond, il est un bon représentant de ces fanatiques de la construction européenne, de ces « eurobéats », dont l’attitude va aboutir à faire éclater l’Union européenne.

Il faut agir

Au point où nous sommes dans cette crise, il faut prendre ses responsabilités. Ce qui est en jeu n’est pas seulement le sort de 11 millions de personnes, ce qui est déjà beaucoup. C’est en réalité le sort des 510 millions d’habitants de l’Union européenne qui est aujourd’hui jeté dans la balance. Derrière le sort de la Grèce, que l’on laisse seule pour gérer un flux de réfugiés de 1000 personnes/jour, c’est la réalité de l’Union européenne qui est en jeu.
Il faut aujourd’hui admettre que l’Euro n’est pas viable dans le cadre actuel, et que changer de cadre, passer au « fédéralisme » comme l’invoquent certains, est impossible. Dès lors, il faut en tirer les conséquences et procéder à un démontage coordonné de la zone Euro. Réfléchissons-y bien ; ce démontage, s’il est réalisé de manière coordonnée, sera un acte d’union. Il n’y a aucune honte à reconnaître que les conditions nécessaires n’ayant pas été remplies, la monnaie unique ne peut être viable. Il n’y a aucune honte à cela, sauf à faire de l’euro un fétiche, une nouvelle idole, une religion. Et c’est bien ce qui est inquiétant. Pour de nombreux dirigeants dans les pays de l’union européenne l’Euro n’est pas un instrument, c’est une religion, avec ses grands prêtres et ses excommunications. Car, l’alternative à cela, c’est le « Grexit », soit en réalité l’expulsion de la Grèce hors de la zone Euro, acte inouï de violence, mais dont tout le monde comprendra qu’il n’est que le début d’un processus. Une fois la Grèce mise dehors, les regards se porteront sur le prochain, puis sur le suivant. On aboutira, alors, à une lente implosion de la zone Euro, dans un vacarme de récriminations et d’accusations réciproques, dont l’Eurogroupe du samedi 11 aura été une timide annonciation. L’Union européenne, il faut le savoir, ne résistera pas à cela. Elle pourrait certainement résister au démontage coordonné, sous le contrôle du Conseil européen, et avec la participation des institutions européennes. Mais, il en ira tout autrement si on s’abandonne à la facilité et si l’on laisse la zone Euro se déliter à la suite d’une expulsion de la Grèce.
Aujourd’hui, le temps presse. Les dirigeants de l’Union européenne peuvent faire le choix salvateur d’une solution coordonnée. S’ils reconnaissent que la zone Euro n’est pas viable, tout est possible. Si, par contre, ils s’enferrent, que ce soit par idéologie ou par intérêt de court terme, dans des tentatives désespérées pour tenter de faire survivre cette zone Euro, en y sacrifiant un pays, puis un second, puis un troisième, ils mettront en marche la machine infernale de l’explosion de l’Union européenne, et ils porteront devant l’Histoire la responsabilité de futures affrontements intereuropéens. L’Union européenne peut périr, ou se transformer. L’important est de sauver l’esprit européen, un esprit de fraternité et de solidarité. C’est cela que menace désormais l’existence de l’Euro.
[1] Voir Michel Aglietta, Zone Euro : éclatement ou fédération, Michalon, Paris, 2012.

[2] Voir Sapir J., « Le coût du fédéralisme dans la zone Euro », note publiée sur le carnetRussEurope, 10 novembre 2012, http://russeurope.hypotheses.org/453

[3] Patrick Artus, « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne : rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012.

[4] VAROUFAKIS: POURQUOI L’Allemagne REFUSE D’ALLÉGER LA DETTE DE LA GRÈCE, http://blogs.mediapart.fr/blog/monica-m/120715/varoufakis-pourquoi-lallemagne-refuse-dalleger-la-dette-de-la-grece

[5] Sondage EUROBAROMETER

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, le 12 juillet 2015.

Les conditions d’un “Grexit”

La question d’un possible « Grexit » a été à nouveau évoquée lors de la réunion de l’Eurogroupe ce samedi 11 juillet. Il s’apparenterai dans les faits à une expulsion de la Grèce, à moins que son Premier ministre ne consente à présenter sa émission, et ce en dépit d’un vote de confiance massif au Parlement dans la nuit de vendredi à samedi, et en dépit du succès remporté par le « non » au référendum du dimanche 5 juillet. Les conditions d’une sortie de la Grèce de l’Euro dans l’urgence doivent être étudiées très sérieusement compte tenu des positions de l’Allemagne à l’Eurogroupe. Si le blocage des négociations à l’Eurogroupe persiste, et devant la mauvaise fois désormais évidente de certains interlocuteurs, au nombre desquels il faut compter M. Schäuble, le Ministre allemand des finances ou M. Dijsselbloem, le Président de l’Eurogroupe, on ne peut exclure un « Grexit » dans l’urgence dès le début de la semaine prochaine. Confrontée à cette éventualité la Grèce serait dans une situation certes difficile, car les banques sont à cours de liquidités, avec des problèmes de bilans très sérieux, et la Banque Centrale (ou BofG) n’a pas de réserves. Mais cette situation est loin d’être insoluble et ne doit pas effrayer outre mesure le gouvernement grec. Si donc un « Grexit » en urgence doit être envisagé il faudra traiter les problèmes suivants, qui vont des réserves de la Banque Centrale aux liquidités en passant par la question de la dette :
  1. La question des réserves de la Banque Centrale

On admet qu’un taux de réserves par rapport au PIB de 1/30 à 1/20 suffit pour un pays dont le compte courant (balance des exports-imports de biens et services) est à l’équilibre. Le PIB de la Grèce est aujourd’hui de 200 milliards d’Euros, soit approximativement 220 milliards de dollars. Un rapport de 1/20 donnerait donc 11 milliards de dollars. Portons à 20 milliards cette somme pour se prémunir contre tout imprévu. Cette somme pourrait venir de plusieurs sources :
  • Le gouvernement pourrait gager une partie des ressources du tourisme, qui représente 17% du PIB actuellement. Si on applique un taux de TVA à 23% sur ce secteur (hôtels et restaurants), les revenus fiscaux gagés vont représenter 8,5 milliards de dollars. Le gouvernement pourrait émettre des certificats gagés sur cette somme.
  • Les grecs ont sortis ces derniers mois plus de 35 milliards d’euros (équivalents à 39 milliards de dollars). Ils devront les réintroduire dans la circulation monétaire ne serait-ce que pour payer les impôts. Dans ces conditions 20% de cette somme pourrait être affectée aux réserves de la Banque Centrale, soit 7 milliards de dollars.
  • La Grèce pourrait demander à des pays avec lesquels elle entretient de bonnes relations un prêt complémentaire de 5 milliards de dollars.
Cet argent irait abonder un fonds de réserve de la nouvelle monnaie. Compte tenu de l’équilibre de la balance courante, il serait suffisant pour stabiliser cette monnaie. En fait, et compte tenu du quasi-équilibre de la balance courante, on peut penser que ce fonds de réserve serait très peu utilisé. Le contrôle des capitaux déjà en vigueur permet de limiter les prises de positions spéculatives sur la future monnaie grecque.
  1. La question des liquidités

La Grèce est aujourd’hui étranglée par le manque de liquidités. C’est un fait bien établi. Cet étranglement, la version moderne du lacet des assassins ottomans, est entièrement lié à la politique de la Banque Centrale Européenne. Face à cela, le gouvernement grec peut émettre des reconnaissances de dette à trois ou six mois auxquelles il confèrerait le cours légal et qu’il accepterait en paiement des impôts. Ceci permettrait à l’économie de retrouver de la liquidité.
Mais, comme on l’a dit dans une précédente note, la solution qui s’impose serait en réalité une réquisition de la Banque Centrale. Cette réquisition doit être faite dans le cadre des pouvoirs d’urgence que le gouvernement grec ne manquerait pas d’invoquer si un « Grexit » était constaté. Cette réquisition permet, de manière temporaire et en attendant qu’une nouvelle loi précisant l’organisation bancaire ne soit votée, de placer la BofG sous le contrôle direct du Ministère des finances et de remplacer son directeur actuel. Cette opération permettrait au gouvernement de libérer les réserves détenues soit à la BofG soit sous contrôle de la BofG dans les banques commerciales. De toute manière, dans le cas d’une sortie de l’Euro, la réquisition de la Banque Centrale s’impose. En combinant ces deux méthodes, le gouvernement grec desserrerait le lien qui aujourd’hui l’étrangle. Il montrerait aussi à tous les agents, qu’ils soient grecs ou étranger, sa résolution à reprendre en main sa monnaie et son destin.
  1. la question de la dette

Le problème de la dette grecque se pose ensuite. Cette dette est importante par rapport au PIB, représentant 341 milliards d’euros. En cas de dépréciation de la nouvelle monnaie, il est clair que le poids de cette dette, qui pèse déjà très lourdement sur la Grèce, serait accru. Cette dette a été émise de Bruxelles et de Francfort dans le cadre des plans d’aide qui furent en réalité des plans de transfert des créances détenues par des banques privées vers les Etats de la zone Euro. Cela constitue une importante différence avec la dette de la France ou de l’Italie, dette qui est émise dans des conditions bien plus normales et qui est majoritairement (à plus de 97% dans le cas de la France) émise dans le droit national. Dans le cas de la Grèce le problème est que – dans ces conditions particulières – la lex monetae ne s’applique pas. Il n’y a donc pas de solution autre que le défaut sur la dette, comme le fit la Russie en 1998. Une fois ce défaut réalisé, la condition de reconnaissance de la dette (à 20% ou 30 de sa valeur faciale) pourra être discutée. Mais, il est très important que le gouvernement grec annonce le défaut sur sa dette en même temps qu’il constatera que l’Euro ne peut plus avoir cours légal sur son territoire. En fait, la question du changement de monnaie et du défaut sont étroitement liées.
  1. La question des banques commerciales

Les banques commerciales grecques, dans le cas d’un défaut sur la dette et d’une rupture avec la BCE, se trouveront en faillite. Le montant nécessaire pour leur recapitalisation est évalué actuellement à 25 milliards d’euros par le FMI. C’est une somme considérable. Ces banques commerciales doivent donc être nationalisées, mais, s’inspirant de l’exemple islandais, le gouvernement grec ferait bien de ne pas chercher à les recapitaliser entièrement. En fait la partie « banque d’investissement » doit être laissée à elle-même et doit faire faillite. Par contre la partie banque de circulation doit elle être sauvée. Cette partie pouvant opérer sous le contrôle de l’Etat, avec une garantie des dépôts de la population à travers une aide exceptionnelle apportée par la Banque Centrale, la BofG, qui aura été au préalable réquisitionné ». Cette partie devra être recapitalisée et le gouvernement devrait pour cela déclarer un emprunt obligatoire sur tous les ménages gagnant plus de 60 000 euros par an, emprunt dont les intérêts seraient égaux à l’inflation.
Telles sont les mesures qui s’imposeraient si la Grèce devait se faire expulser de la zone Euro, mesure inouïe, et qui libérerait la Grèce de l’obligation de respecter les traités, du moins dans le domaine monétaire. Ceci n’épuise pas le sujet. Il est clair que les responsabilités de l’Allemagne seraient alors immenses, et que d’autres pays pourraient très sérieusement songer à quitter l’Euro, provoquant de fait sa dissolution. Mais, aujourd’hui, l’urgence est de montrer le chemin que la Grèce peut suivre afin que ce « Grexit » se passe le mieux possible, quitte à par la suite attaquer en justice la BCE et l’Allemagne.
Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, le 11 juillet 2015.

L’Allemagne, les Etats-Unis et la France

Les propositions qui ont été soumises par le gouvernement grec le jeudi 9 juillet, on le sait, ont été en grande partie rédigées avec l’aide de hauts fonctionnaires français. Même si cela a été démenti par Bercy, c’est une pratique courante des administrations de déléguer des fonctionnaires « à titre personnel », s’assurant ainsi en cas d’échec de la possibilité de nier toute implication. Ceci témoigne, en réalité, de l’intense travail de pressions qui a été exercé tant sur la Grèce que sur l’Allemagne par les Etats-Unis depuis ces derniers jours. Nous verrons sous peu si ces pressions ont été efficaces. Mais, il est clair d’ores et déjà qu’elles ont eu des effets collatéraux.

Le rôle de la France

Car, ces pressions ont aussi mobilisé la France qui a cru pouvoir jouer le rôle d’un intermédiaire entre l’Allemagne et ses alliés d’une part et la Grèce d’autre part. Ce rôle d’intermédiaire n’a été possible qu’en se rangeant dans le camp des Etats-Unis. Il faut donc noter ici que la France a délibérément choisi le camp des Etats-Unis contre celui de l’Allemagne. Cela ne sera pas sans conséquences pour la suite, et ceci que l’Allemagne impose le « Grexit » où qu’un accord de dernière minute soit trouvé. En effet, si le gouvernement français n’a pas eu nécessairement tort de choisir d’affronter l’Allemagne sur ce dossier, la manière dont il le fait jette un doute sur la survie à terme non seulement de la zone Euro mais, au-delà, de l’Union européenne. Le gouvernement français a en effet choisi de s’appuyer sur une puissance non-européenne pour tenter de faire fléchir l’Allemagne. Ce faisant, il reconnaît de par son action, que c’est la politique allemande qui constitue aujourd’hui un problème pour la zone Euro. C’est une évidence, et on l’a écrit à de nombreuses reprises dans ce carnet.
Mais alors, que reste-t-il du mythique couple franco-allemand, dont beaucoup se rincent la bouche et qui constitue, en un sens, l’un des piliers de l’Union européenne ? N’est-ce pas reconnaître qu’avec la réunification de l’Allemagne, le « couple franco-allemand » est mort et enterré ? Dans ce cas, plutôt que de se jeter dans les bras d’une puissance non-européenne, ne devrait-on pas se rapprocher de la Russie ? Ce qui frappe quand on analyse l’attitude du gouvernement français c’est l’amateurisme qui a prévalu sur des questions absolument fondamentales.

Une vision essentiellement idéologique

Qui plus est, le gouvernement français s’est engagé dans cette voie pour des raisons essentiellement idéologique. En réalité, ce que veut par dessus tout M. François Hollande c’est « sauver l’Euro » et éviter de voir l’Allemagne exclure de fait la Grèce de la zone Euro. François Hollande est ici bien l’un des fils spirituel de Jacques Delors, la vision en moins et la rigidité idéologique en plus. Mais, il risque de voir très rapidement le prix qu’il aura payé pour cela, et pour un résultat qui ne durera probablement que quelques mois. Car, les propositions avancées par le gouvernement grec, si elles devaient être acceptées, ne règlent rien. Si ces propositions sont finalement rejetées, comme semble le laisser présager la réunion du l’Eurogroupe de la nuit du 11 au 12 juillet, il deviendra clair que l’action des Etats-Unis et de la France a été inefficace. Par contre, la rupture entre la France et l’Allemagne perdurera, elle. Et l’image d’une Union européenne divisée, obligée d’appeler une tierce puissance pour résoudre ses conflits internes, va s’imposer rapidement.
La seule signification possible de l’Union européenne, et avant elle de la Communauté économique européenne, consistait à montrer que les européens étaient capables de prendre leurs affaires en mains sans aucune ingérence d’une tierce puissance. Or, en appuyant les pressions américaines, en se joignant à elles, c’est très précisément à cela que François Hollande, tout à la poursuite de son rêve quant à l’Euro, vient de renoncer. Le prix politique à payer sera donc très lourd.

Le problème allemand et l’Union européenne

Au-delà, il y a aujourd’hui très clairement un « problème allemand » au sein de l’UE et surtout de la zone Euro. On voit bien comment l’Allemagne utilise à son profit exclusif les institutions qui ont été mises en place. Mais, au lieu de le reconnaître, et de comprendre que dans ces conditions l’Euro ne peut plus fonctionner, François Hollande s’entête. Il refuse d’en tirer les conséquences. En fait, François Hollande est tombé dans le piège tendu par les Etats-Unis. Alors qu’une confrontation entre la France et l’Allemagne sur les questions européennes, même si elle aurait pu faire tanguer les institutions européennes, serait restée essentiellement une affaire intra-européenne, en jouant la carte des Etats-Unis pour un problème conjoncturel François Hollande a probablement porté le coup de grâce à ce à quoi il tient le plus : l’Union européenne.
Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, le 11 juillet 2015.
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Pour les anglophones, le projet de l’Eurgroupe d’hier – incroyable :


Et pour finir par le rire :

“La soutenabilité de la dette ne peut être atteinte sans décote, le FMI a raison de le dire” a-t-il dit lors d’une conférence organisée par la Bundesbank à Francfort, avant d’ajouter: “Il ne peut y avoir de décote car cela serait contraire aux règles de l’Union européenne.” Wolfgang Schäuble
Ils sont forts ces Allemands quand même (qui, cependant, ne font que défendre les intérêts des Allemands…).
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EDIT : je vous mets le dernier Krugman – désolé, c’est du Google trad, pas le temps de faire mieux

Tuer le projet européen, par Paul Krugman

Supposons que vous considérez Tsipras comme un crétin incompétent. Supposons que vous payeriez cher pour voir Syriza hors du pouvoir. Supposons que, même, que vous accueillez la perspective de pousser les Grecs ennuyeux sortir de l’euro.
Même si tout cela est vrai, cette liste de l’Eurogroupe des demandes est de la folie. La tendance hashtag ThisIsACoup est tout à fait exact. Cela va au-delà dure dans vindicte pure, la destruction complète de la souveraineté nationale, et aucun espoir de soulagement. Il est, sans doute, censé être une offre Grèce ne peut pas accepter; mais même ainsi, il est une trahison grotesque de tout ce que le projet européen était censé défendre.
Tout peut sortir l’Europe au bord du gouffre? Le mot est que Mario Draghi tente de réintroduire un peu de raison, que Hollande montre enfin un peu de volonté d’interrompre les demandes allemandes économie morale-play qu’il a si manifestement pas réussi à fournir dans le passé. Mais la plupart des dommages a déjà été fait. Qui va jamais confiance bonnes intentions de l’Allemagne après cela?
En un sens, l’économie ont presque devenu secondaire. Mais encore, soyons clairs: ce que nous avons appris ces dernières semaines est que d’être un membre de la zone euro signifie que les créanciers peuvent détruire votre économie si vous sortez de la ligne. Cela n’a aucun lien sur les bases économiques sous-jacentes de l’austérité. Il est aussi vrai que jamais que l’imposition de l’austérité sévère sans allégement de la dette est une politique vouée à l’échec, peu importe la façon dont le pays est prêt à accepter la souffrance. Et à son tour, signifie que même une capitulation grecque complète serait une impasse.
La Grèce peut elle arracher une sortie réussie? L’Allemagne va elle tenter de bloquer une reprise économique ? (Désolé, mais voilà le genre de chose que nous devons maintenant demander.)
Le projet européen – un projet dont j’ai toujours fait l’éloge et que j’ai soutenu – vient d’être porté un coup terrible, peut-être fatal. Et quoi que vous pensez de Syriza, ou de la Grèce, ce ne sont pas les Grecs qui l’ont fait.