vendredi 26 février 2016

Un projet de loi amalgame incivilités et actes terroristes dans les transports en commun (basta)

Un projet de loi amalgame incivilités et actes terroristes dans les transports en commun

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« Contrôleurs vus ce matin à Châtelet vers 9 h 40 », « Contrôleurs TCL dans le tramway T1 direction Part-Dieu au niveau de Perrache »... Ces messages postés sur les réseaux sociaux, qui visent à ne pas tomber nez à nez avec une équipe de contrôleurs, pourraient prochainement être punis de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Cette disposition est prévue dans la proposition de loi « relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs », en cours d’examen au Parlement. Vous avez bien lu : faire preuve d’incivilités, frauder ou perpétrer un acte terroriste dans un transport en commun sont amalgamés par l’intitulé de la loi. « Cela tient à une question de calendrier », se défend le député Gilles Savary sur Rue89. « L’attaque déjouée du Thalys nous a obligés à rajouter une partie antiterroriste dans cette loi (contre la fraude dans les transports, Ndlr). »
À l’initiative de cette proposition de loi, des élus du groupe socialiste, républicain et citoyen s’agacent de « la relative impunité dont bénéficient les fraudeurs récidivistes, qui n’encourent de peine conséquente pour “délit d’habitude” (six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende) qu’à partir de dix procès-verbaux sur un an ». Ils dénoncent également « un usage dévoyé des réseaux sociaux et le développement d’applications numériques comme “Infotracking” ou “Un ticket ?” pour signaler la présence de contrôleurs ». Et constatent que cette fraude représenterait plus de 500 millions d’euros de pertes pour les opérateurs de transport (300 millions pour la SNCF, 100 millions pour la RATP et 100 millions pour les entreprises de transport urbain de province).

« Exemple symptomatique du tout sécuritaire »

« Disproportionnée. » C’est ainsi que les sénateurs ont d’abord qualifié cette disposition visant les personnes qui signalent les contrôleurs, lors de son examen, fin janvier, en commission des lois. Ils ont établi le parallèle avec une disposition similaire visant à lutter contre le signalement de contrôles effectués par les forces de l’ordre dans le cadre du Code de la route. Les applications signalant radars ou contrôle de vitesse inopiné abondent. Cette infraction est passible d’une contravention de cinquième classe, soit 1 500 euros, sans peine de prison... On est bien loin des deux mois d’emprisonnement pour un signalement de contrôleurs, qui, a priori, n’a jamais mis en danger la vie d’une personne au contraire d’une voiture roulant à grande vitesse équipée d’un GPS dernier cri. C’était sans compter la volonté ferme de certains élus de sanctionner pénalement les fraudeurs, qu’ils aient les moyens ou non d’acquitter leur titre de transport. La commission mixte paritaire, qui réunit des sénateurs et des députés avant le passage du texte en deuxième lecture, a décidé de réintroduire cette peine dans l’article 13.
Parmi les arguments mis en avant dans Le Figaro : « Permettre aux contrôleurs d’intercepter d’éventuels terroristes qui ne pourraient pas être avertis de leur présence ». L’état d’urgence a bon dos... « Ce nouveau délit sera constitué quel que soit le “moyen” de diffusion de l’avertissement et “quel qu’en soit le support” : SMS, tweet, message privé sur Facebook, email, pigeon voyageur, signaux de fumée... », ironise le site Next Inpact. « C’est un exemple symptomatique du “tout sécuritaire” voulu par le gouvernement, au risque de fabriquer des lois liberticides avec des conséquences démesurées par rapport aux actes eux-mêmes », réagit le fondateur de Check My Metro, qui regroupe des informations sur le réseau RATP à Paris et informe entre autres sur la présence de contrôleurs.

Guerre aux pauvres ?

Cette chasse à la fraude punit toutes les formes de solidarité en la matière. Les mutuelles de fraudeurs ou les collectifs sans ticket, dont le principe repose sur le paiement d’une cotisation mensuelle permettant de payer les amendes de chacun, sont aussi dans le viseur de la proposition de loi. Les personnes qui participent à « l’ouverture ou l’annonce publique d’une souscription » ayant pour objet de régler les contraventions dressées par les contrôleurs pourront encourir jusqu’à six mois de prison et 45 000 euros d’amende (article 8 ter). La revendication des transports gratuits pour tous qui prédomine chez ces « collectifs sans tickets » n’est visiblement pas prête d’être mise à l’ordre du jour du gouvernement, en dépit d’expériences réussies dans des collectivités (lire notre enquête à ce sujet).
Le texte issu de la commission mixte paritaire doit désormais être discuté au Sénat le 2 mars prochain, avant d’être à nouveau soumis à l’Assemblée nationale. Ces dispositions interviennent dans un contexte où le tarif solidarité transport est partiellement remis en cause en Île-de-France [1]. La nouvelle majorité du conseil régional d’Île-de-France a voté en janvier une baisse de 25 % de sa subvention au Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF), en visant spécifiquement dans sa décision les bénéficiaires de l’aide médicale d’État en situation irrégulière. « Comment, sans titre de transport, entreprendre les démarches administratives nécessaires à la régularisation de sa situation ? Comment rechercher un emploi ? », s’insurge le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), qui condamne cette mesure discriminatoire. Sous couvert de lutte antiterroriste, la chasse aux pauvres est ouverte...

Notes

[1] Le tarif solidarité transport, qui correspond à une réduction de 50 à 100 % sur les titres de transport (le passe Navigo est vendu 70 euros par mois) est destiné, en Île-de-France, aux personnes bénéficiaires de certaines prestations et aides sociales : revenu de solidarité active (RSA), allocation de solidarité spécifique (ASS), couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et aide médicale d’État (AME). Ce tarif a pour fondement légal l’article L. 1113-1 du Code des transports, qui prévoit une réduction d’au moins 50 % pour toute personne, indépendamment de sa nationalité ou de sa situation administrative, dont les ressources sont inférieures au plafond CMU-C, qui est aussi celui de l’AME, soit 720 euros par  mois.